Une obsession

Article : Une obsession
Crédit: Cottonbro studio/Pexels
18 octobre 2023

Une obsession

Le jour s’étiolait lentement pour laisser place à un horizon terne au rythme de ma morosité croissante. J’avais perdu mon entrain comme on perd un proche soudainement. Sans préavis. La fulgurance du désamour m’avait électrisée et rendue amorphe, vidée. La nuit approchait avec son lot de fantasmagories et ce prélude à un sommeil agité me terrifiait.

Le crépusucle de l’amour

J’entamais la soirée dans la détresse d’une rupture douloureuse. Je me trouvais pathétique et ridicule d’y avoir trop cru. Attendu. Espéré. Dans la chambre minuscule d’un hôtel miteux situé sur l’avenue Maréchal Foch près du capitole, je rêvassais. La fenêtre où j’étais accoudée m’offrait une vue large sur la route étroite accueillant les bouchons furieux de 18h. Je tripotais mon verre de rhum-coca délogé d’une table garnie dont je n’avais rien touché, et je pouvais également admirer les rues toutes en lumière.

Le centre-ville brillait de mille éclats. Les nombreux poteaux électriques parsemés ça et là, irradiaient de leurs faisceaux les passants en mouvement et ceux arc-boutés sur les murs des bâtiments publics. Il faisait bon vivre au-dehors. Je le sentais en contemplant l’agitation de la foule heureuse et pressée de rejoindre leurs chaumières. Mais aussi par l’enthousiasme des vendeurs ambulants satisfaits d’aguicher des clients qu’ils amadouaient grâce à des combines connues de tous. L’humeur était joyeuse à l’extérieur.
Mais moi, mon chagrin me tenaillait interminablement à l’intérieur. J’avais l’estomac en vrac, des spasmes incontrôlables et des viscères en feu. Et l’alcool n’aidait pas à dissiper le tourbillon qui remuait en moi. Résultat d’un choc plus qu’inattendu. Une surprise au goût du désarroi.

Plus tôt dans cette matinée, elle m’avait éconduit. D’une phrase laconique et brutale, elle m’avait dit »d’arrêter de lui écrire ». Après six mois de relation sans nuages ni ombres. D’où était venue la fissure dans le tableau ?
Tout avait eu l’air si parfait et indestructible. Mais son agacement paraissait absolu et sans ménagement. Je ressassais chaque moment de cette aventure unique et me demandais quel détail sordide avait déclenché son réveil ? Avant de comprendre finalement. Elle en avait eu assez d’être polie et de se coltiner une groupie. Une groupie qui sait écrire indéniablement mais ne sait pas faire la part des choses.

Un coup de foudre

Faire son éloge au premier abord m’avait permis de pénétrer son monde. L’écriture avait fait nous découvrir. Une sorte de texte qui décline un coup de foudre à une inconnue très publique, en feignant une admiration intellectuelle et désintéressée. Et cela avait marché. Elle en avait été subjuguée, m’avait remerciée et s’était laissée approcher.
J’avais trouvé la tentative aisée au point d’en avoir jubilé avec l’innocence de l’ado que je n’ai jamais quitté.
Il y avait eu ensuite des journées de longs discours passionnés, des photos de médias discutées, des polémiques débattues.
Au travers de nos écrans interposés, tout s’avérait mieux qu’un rencard, mieux qu’une embrassade, mieux qu’un contact. Nous étions dans un entre-soi idyllique, fait d’idées ciselées, de commentaires riches, de pensées pertinentes, de révolte commune. Le monde nous dégoûtait, les injustices nous enrageaient, l’inaction nous pétrifiait.

Pour moi, l’amour était là. L’amour amical, amoureux, déconnecté. Celui qui déraisonne. Celui qui pousse à vouloir davantage, à outrepasser des limites. L’amour qui engendre la frustration et la possession. L’amour qui fait naître une obsession.
Une obsession à la mesure des fantasmes qu’on se crée et des volontés inadéquates qui nous surplombent. Une obsession qui gâche tout. Car tout était gâché. Par ma seule faute. Comment regretter et pouvoir revenir en arrière ? Il était tard. Trop tard. J’avais en songe tous ces instants mélodieux de sa voix, ses rires… Et désormais sa colère ! Sa colère contre moi. Pour ne rien respecter, pour demander, imposer, exiger…

L’éveil de la réalité

Je ne pouvais pas fermer les yeux sans penser à ses paroles dures et irrévocables. La douleur piquait mon cœur fortement. Je cherchais l’apaisement les yeux fixés au plafond. Puis lasse, je m’assoupis.
C’est alors qu’au milieu de la nuit, sur l’oreiller, tandis qu’abreuvée de songes lubriques et inaccessibles, elle m’inspira une vérité de mots. Des mots méchants mais cléments. Ceux qui disaient combien j’avais été tenace et niaise dans mon obsession. Ceux qui avouaient ma maladresse, mon infortune et la misère d’un sentiment déplacé. Ceux qui m’accablaient et m’ordonnaient une contrition. Expier ma faute par l’oubli immédiat.

L’amour est telle qu’une religion, obscure de croyances et aveugle d’illusions. Et la foi peut être décadente. Aussi décadente que de vouloir posséder quelqu’un qui en fin de compte ne nous appartient pas.
Je comprenais sa distance, son éloignement, son rejet. Elle n’avait eu que de la sympathie, j’y avais décelé plus. Autant que mon obsession m’avait égarée et reflétée une réciprocité factice.

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