Paie ton droit à l’avortement !

Article : Paie ton droit à l’avortement !
Crédit: Ittmust / Flickr CC
2 août 2022

Paie ton droit à l’avortement !

Il y a quelques semaines, la Cour suprême des États-Unis révoquait à travers une décision ferme la possibilité pour toute femme américaine de recourir légalement à l’avortement. Ce qui marquait entre autres, un bon en arrière inouï en matière de respect des droits de l’Homme, notamment du corps et de la volonté des femmes.

Vous avez sans doute déjà entendu des expressions argotiques pareilles à  »paie ton job », « paie ton médecin », « paie ta contraception« , « paie tes amis… »; Il s’agit d’une sorte d’exclamation de mécontentement émise par les personnes directement concernées dont l’objectif serait de dénoncer quelque chose de négatif qui se serait produit à un moment donné dans notre vie à cause d’autres individus.

Ou alors, c’est simplement pousser un gros coup de gueule en parlant d’une situation désagréable en corrélation avec un sujet qu’on évoque et qui nous est pénible. Pour le coup, dire  »paie ton droit à l’avortement » est une façon d’exprimer ce cri de rage venant de toutes ces femmes à qui on avait donné l’autonomie de disposer de leur corps comme bon leur semble, mais qui voient se volatiliser un progrès qu’elles croyaient acquis.

L’arrêt Roe V. Wade : de l’origine du droit à l’avortement aux USA

La bataille judiciaire menant à cet arrêt historique, découle de l’affaire Roe contre Wade, débutant en 1970, lorsque la citoyenne texane Norma McCorvey réfutait une interdiction de la loi d’avortement sauf en cas de mise en péril de la vie de la mère, au Texas. Celle-ci, pour conserver son anonymat, emprunta le pseudonyme de Jane Roe dans l’action qui l’opposait au procureur de l’Etat du Texas, Henry Wade. Jane Roe perdit son procès au niveau du district, mais la Cour suprême s’empara de l’affaire en décembre 1971, après que l’avocate de Jane, Sarah Weddington, mit en lumière les contradictions des lois anti-avortement du Texas selon les 1er, 4e, 5e, 9e, et 14e amendements de la Constitution américaine.


Après une multitude de débats houleux, la Cour suprême des Etats-Unis, plus haute juridiction du gouvernement fédéral, rendit en janvier 1973, un verdict sur la constitutionnalité des lois qui criminalisent ou restreignent l’accès à l’avortement. Verdict dont la conclusion fut cet arrêt Roe v. Wade. Une jurisprudence qui statua en faveur d’un avortement permis à des femmes enceintes dans le premier trimestre de leur grossesse, mais autorisant néanmoins des restrictions pour les deuxième et troisième trimestres. Et ceci grâce au sept voix obtenues en faveur de Jane, contre deux. Cette loi apparaissant au niveau fédéral obligeait ainsi 46 des 50 États fédérés à l’adopter.

Rappelons que la Cour suprême est un organisme juridictionnel composée de neuf juges dont un président et 8 assesseurs, nommés à vie par le président de la République avec le consentement du sénat à la majorité qualifiée. Ces juges ont la charge d’examiner la constitutionnalité des lois votées au congrès et d’en vérifier la conformité selon la constitution de la République fédérale des États-Unis.

Un revirement des plus régressifs

Le vendredi 24 Juin 2022, la loi Roe v. Wade a été abrogée permettant aux femmes des USA d’avoir recours à une IVG à la limite de la viabilité du fœtus. Les votes des juges furent de 6 en faveur de l’interdiction d’avorter au delà de la 12ème semaine, contre trois. Ce qui permet aux cinquante États d’annuler ou de restreindre ce droit dans chacun de leur territoire. Treize Etats l’interdisent immédiatement dont Le Missouri et le Dakota du Sud qui seront les premiers, et à terme plus de la moitié des états fédérés qui y étaient déjà très hostiles, s’aligneront sur cette nouvelle position. Quoique Washington, l’Oregon et la Californie comptent maintenir ce droit et ne pas faiblir.

Six des neuf juges de la Cour suprême des Etats-Unis annulent l’arrêt Roe v. Wade

Cette décision intervient après plusieurs recours des Etats conservateurs qui ont par le passé, attaqué cette loi pour la faire choir au niveau du gouvernement fédéral. Il s’agit par exemple d’une loi entrée en vigueur dans l’Etat du Texas en septembre 2021, et qui interdisait toute interruption volontaire de grossesse dès la 6e semaine de gestation, c’est à dire dès que les premiers battements du fœtus sont perceptibles, et ce même en cas de viol ou d’inceste. Sachant qu’à ce stade de la grossesse, certaines femmes peuvent n’être aucunement consciente de porter un bébé. C’est dire l’abominable manque de considération de la santé physique et mentale des femmes qui se cache derrière ces lois déshumanisantes.

Un écho de fureur qui traverse l’Occident

Décision qui a non seulement indigné la majorité des femmes « pro-choix » du territoire, l’annulation du droit à l’IVG aux Etats-Unis a également suscité le même tollé en Europe. En France, plusieurs citoyens se sont rassemblés dans les rues de Paris pour montrer leur solidarité avec les femmes des États-Unis et celles du monde entier pour qui l’avortement demeure illégal.

Marche de soutien aux femmes des Etats Unis – maitea6 / Flickr CC

Toujours en France, la présidente du groupe Renaissance (ex-LREM), Aurore Bergé, a déposé samedi 25 juin une proposition de loi à l’Assemblée pour inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution dans le but de  »sécuriser ce droit ». Au niveau de l’Union européenne, le Parlement européen demande également d’inscrire le droit à l’IVG dans la charte des droits fondamentaux de l’U.E. Sachant que ce droit n’est pas garanti dans tous les 27 États qui la composent à l’instar de la Pologne, où il n’est permis qu’en cas de viol ou de danger de la vie de la mère, ou encore à Malte où il est totalement interdit. C’est un sujet très clivant au sein du Parlement européen, et pour conséquence, ce projet de loi nécessiterait pour qu’il puisse être inscrit dans la charte une unanimité des 27 pays membres. Cela a conduit les eurodéputés à saisir la Cour constitutionnelle afin de vérifier la légalité du droit à l’avortement au regard du droit communautaire.

De lourdes conséquences pour les femmes

Chaque année, 47.000 femmes meurent en essayant de se faire avorter sans un contrôle médical adéquat. Interdire le droit à l’avortement ne serait pas lutter pour la vie, mais bien cantonner cet acte à la clandestinité. Des millions de femmes dont l’urgence médicale, la précarité financière ou simplement l’envie les poussent à ne pas vouloir d’enfants, peuvent désormais être contraintes de réaliser dans une discrétion risquée, des tentatives d’avortement. Et ce en accroissant un exode massif vers d’autres Etats ou pays voisins où ce droit y est plus accessible.

Femen « l’IVG c’est sacré », Paris le 1er février 2014 – Franck Simon / Flickr CC

Ce recul historique du droit à l’IVG aux Etats Unis envoie un message à tous les mouvements réactionnaires anti-IVG des autres pays qui seraient dès lors confortés dans leurs luttes et galvanisés à mettre tout en jeu pour atteindre cette situation judiciaire lamentable en vigueur outre-Atlantique. Il serait judicieux de prendre en compte et de mettre au cœur de cette bataille la volonté et la santé des femmes dans toute leur considération humaine. Car comme le dit si intelligemment la philosophe d’origines italo-congolaise Nadia Yala Kisukidi :

« Mon ventre n’est pas une maison d’arrêt ; son rôle n’est pas de laisser grandir la vie mais d’épouser mon désir – irrépressible.« 

Publication Instagram de Nadia Yala Kisukidi
Partagez

Commentaires

Françoise Ramel
Répondre

Merci pour cet éclairage bien documenté.
Il est intéressant de rappeler aussi comment des femmes se sont battues avant nous pour obtenir ce droit. Il est nécessaire de rester vigilante sur l’effet des pratiques actuelles liées au marketing, aux réseaux, qui conduisent à la sexualisation du corps de la femme. Y compris par certaines jeunes femmes elle-mêmes. La où on pourrait penser à une victoire liée à l’émancipation, il y a selon moi un vrai risque d’enfermement dans des visions liberticides et de perte de nos droits fondamentaux.
Merci encore pour ce billet très bien écrit.

Marina Tem
Répondre

Certainement Françoise, rien n'est jamais acquis, surtout en ce qui concerne les droits et désirs (légitimes) des femmes. Merci d'être passée.