»Le consentement » de Vanessa Filho

Article :  »Le consentement » de Vanessa Filho
Crédit: Instagram/Vanessa Filho
30 novembre 2023

 »Le consentement » de Vanessa Filho

Intrigue mise en scène à partir du récit autobiographique de l’écrivaine et éditrice Vanessa Springora, le film intitulé le consentement inspiré de ce roman éponyme et réalisé par Vanessa Filho ne laisse certainement pas indemne.
Une projection à l’écran tellement bouleversante qu’on y ressort chamboulés et abasourdis, mais d’autant plus interpellés par un sujet critique et d’actualité : le consentement, visant un aspect précis qu’est l’approbation forcée tenant d’une manipulation de la volonté des femmes.

Un récit autobiographique haletant

Vanessa Springora avait relaté dans son livre, l’aventure de jeunesse troublante qu’elle avait entretenue avec l’écrivain français Gabriel Matzneff. Une période sombre de sa vie où elle a été aveuglée par le talent d’un homme conscient de son pouvoir masculin amélioré par son aura d’écrivain, dont il s’est servi pour infiltrer l’esprit de la jeune fille fragile et éprise de littérature qu’elle était.

Elle y décrit son adolescence traversée par un amour vécu ouvertement de son entourage et sans lucidité apparente. Une romance pernicieuse édictée par un homme de 50 ans, ayant usé de son charisme littéraire pour charmer une enfant crédule et l’embrigader dans les méandres d’une passion confuse avec au centre un écart d’âge rédhibitoire.

Roman de Vanessa Springora publié en 2020

Passage à l’écran d’un drame saisissant

L’adaptation visuelle a donc essayé et réussi avec brio, de reproduire du roman ce pan crucial de l’adolescence de l’auteure abusée.
L’histoire suit comme dans le livre, Vanessa âgée de 13 ans1/2 dont la famille éclate entre une mère protectrice mais très lunaire et un père absent. L’adolescente trouve refuge dans les livres qu’elle dévore copieusement. Une tentative de refouler son mal-être et de s’évader loin de son cocon fracturé.

Vanessa tenant un livre

La première scène du film s’ouvre sur un dîner durant lequel la mère de Vanessa reçoit des amis dans une ambiance festive et taquine. Parmi les invités, l’écrivain Gabriel Matzneff s’y trouve et captive l’attention de son auditoire. Des anecdotes fusent sur sa passion pour la littérature ainsi qu’un plaidoyer insolent pour ses écrits fustigés par un public dégoûté des atrocités commises contre des enfants et laissées anodines par la classe littéraire.

Il cite en outre Tolstoï et Dostoïevski, fait l’éloge de la littérature et replonge dans ses premières rencontres avec Dumas. De l’assemblée joyeusement attablée, jaillissent des rires approbateurs et la mère de Vanessa dégourdie, s’invite à vanter sa fille et à forcer des similitudes avec l’écrivain.

Les invités attablés

Cette intervention pousse Gabriel à s’intéresser à Vanessa qu’il questionne sur ses préférences. Là, le déclic se crée, le lien invisible prend forme. Autant pour l’auteur charmé par cette jeune fille timide et embarrassée, que pour la demoiselle subjuguée par les connaissances et l’art éloquent de l’homme âgé.

Vanessa en transe et émue

Des lettres sont échangées entre l’écrivain et la jeune fille envoûtée, et Gabriel ne tarie pas de compliments  sur sa petite protégée qui finit par croire en ses belles paroles et céder à son enchanteur.
Elle dévoile sa relation privilégiée à sa mère qui tôt la met en garde contre les rumeurs tracées dans le sillage de l’homme. Sans pour autant définir de limites formelles à sa fille.

Vanessa obnubilée par ce qu’elle pense pure et romantique chez son initiateur, s’entête et poursuit son idylle. De l’amour enjolivé par des mots uniques à une découverte d’un écrivain hypocrite au passé sombre, Vanessa déchante très vite et se confronte à la vérité. Une vérité qui lui fait remettre en question chaque moment précieux qu’elle a partagés avec l’écrivain.

Vanessa à la sortie du lycée

Des acteurs principaux et scènes de tournage grandioses

La jeune novice du cinéma Kim Higelin qui interprète Vanessa Springora, a surpris les spectateurs dont moi, par son intervention juste dans un rôle incroyablement difficile.
Elle nous livre une échappée dans la conscience d’une enfant perturbée par un amour stupéfiant et réconfortant. On lit dans ses mimiques  autant de confusion d’esprit que d’obstination aveugle. Elle nous prend au tripes dans ses colères naïves et redoutables pour vivre dans le piège de son bourreau. Elle a notamment reçu à l’étranger l’Emmy award de la meilleure actrice pour son interprétation.

Kim Higelin

Jean-Paul Rouve, qu’on a pu apprécier dans le film Petit pays de Gaël FAYE, a incarné le prédateur Gabriel Matzneff. Il a tenu la promesse de nous offrir en spectacle la nature mal saine de son personnage. Tenus en haleine, on ressent à travers ses scènes le malaise inquiétant dans ses propos de Don Juan pédophile, autant qu’on est sidérés par la conviction qu’il porte à son défaut. Il véhicule avec exactitude le portrait de l’adulte cynique qui prend plaisir à rompre avec la morale.

Il nous oblige à déceler l’emprise et la domination masculine dont use Monsieur Matzneff par des biais mesquins qui contrecarrent les capacités décisionnelles de l’adolescente. Et ensuite la poussent à une interprétation fausse de sa vision de l’accord. On visualise les mécanismes d’affaiblissement de la pensée des victimes qui se complaisent aux désirs de leurs bourreaux.

Jean-Paul Rouve et Kim Higelin

Un auteur impertinent imbu de sa carrière

Le cas de Vanessa Springora est l’un de ceux connus publiquement dans les années 80, parmi de nombreux autres vécus dans l’ombre et contés par l’écrivain dans ses ouvrages. Cette idylle particulière n’a également pas échappé au monde littéraire et à la bonne société avertie. Un scandale de plus dans la vie de Gabriel Matzneff connu pour sa sexualité volage.

Nous sommes à une époque où le milieu de boomers conservateurs empeste et les critiques littéraires adoptent une politique d’autruche sur les inconvenances flagrantes de grands auteurs, à l’instar de Matzneff. Invité récurrent des émissions télévisées depuis plusieurs décennies, ceux qui adulent l’écrivain demeurent permissifs au point d’edulcorer les fantasmes pedocriminelles de l’homme enchanté.

Mais en 1990, sur le plateau de l’émission  »Apostrophes » où il sera une fois de plus présent en compagnie de ses pairs, l’invitation de Denise Bombardier, illustre écrivaine canadienne sera un élément essentiel. Elle ne cache pas sa fureur contre monsieur Matzneff, ce bonhomme qui étale avec dédain et sérénité ses attirances pour des jeunes filles qu’il a séduites et pour lesquelles il prétend reconnaître une réciprocité en amour. Réciprocité vu de sa seule perspective qui rebute et ne convainc absolument personne.

Madame Bombardier a su remettre dans un contexte éclairés d’outrages et d’abus sexuels, les actes ignobles que l’écrivain raconte dans son livre encensé de tous:  »mes amours décomposés ».

Roman autobiographique de Gabriel Matzneff

Il y parle de sa complaisance écœurante pour des adolescentes mineures très gentilles même si quelque peu hystériques. À contrario des filles plus âgées dans la trentaine qui auraient déjà perdu cette facette innocente en s’étant endurcies d’amertume avec le temps.
Et c’est par ce contraste reluisant pour l’auteur friand de douceur juvénile et candide, qu’il martèle avec sensualité son désir pour des filles très jeunes dont il décrit ses aventures intimes et salaces dans son livre.

 »La littérature ne sert pas d’alibi », s’offusque madame Bombardier durant l’interview. Elle précise cela à l’attention de l’auteur qui n’émet absolument aucune réserve ni limite à ses écrits.

Gabeiel Matzneff sur le plateau d’Apostrophe en 1990

Un thème qui fait écho à la société d’aujourd’hui

En France, 160.000 enfants dont 97% de sexe féminin sont victimes d’agressions sexuelles. Et 80% de celles-ci se déroulent en contexte familial rapproché : un père, un frère, un oncle, un cousin et par extension un ami proche de la famille. La notion de consentement peine a trouvé son retentissement dans les institutions pénales dans lesquelles seulement 1% des cas d’incestes sont condamnés.

Le consentement évoqué ici dans le film de Vanessa Filho, fait référence à l’incapacité des victimes jeunes à affirmer une position réfléchie face à une relation bilatérale voulue ou non.
Il y’a certainement une ambiguïté de cette notion précisément quand l’un des partenaires est mineure ou déficient mental. Car cela revient au partenaire, plus âgé et plus conscient de la loi et la morale, de refrener ses agissements sans user de son pouvoir pour contraindre insidieusement et faire abdiquer la personne sous emprise.

Un film nécessaire à regarder pour briser l’omerta sur les violences sexuelles perpétrées sur des mineures et revoir le contexte de consentement chez ces derniers.

Trailer du film  »le consentement  »
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