Désenchantement

Article : Désenchantement
Crédit: Bwalya Marcel ngosa/Pexels
4 octobre 2022

Désenchantement

J’ai vu les plus valeureux de cette génération courber l’échine, accablés de malice, éreintés de supplices, apostrophés par les catastrophes nauséabondes de cette époque,

Et qui cherchèrent l’oubli affreux dans le flot coulant de ces liquides qui leur brûlèrent le gosier comme un volcan de damnés,

Et qui se transformèrent en poivrots populaires de ces lieux départis de maîtrise de soi et de morne consolation voilée,

Et qui hallucinèrent des oiseaux à l’envolée légère de ces temps nostalgiques et sereins qui empêchaient de flétrir,

Et qui s’écroulèrent nus, dévêtus de lucidité, affamés de richesse inaccessible, dans les caniveaux qui les avalèrent soir après soir sans distinction de caste : de l’érudit éhonté et déchu à l’ignorant en mal de fric, impudent malotru,

Et qui crachèrent leur haine sur l’élite, réquisitionnant chaque parcelle de leur trésor volé,

Et qui marchèrent le long des rues, déambulant à l’aube de jours glorieux qui s’éloignaient d’années en années,

Et qui parièrent leur survie dans un jeu d’inégalités où ce fut l’infortune qui battit les cartes, les distribuant dans l’ordre de leur déchéance,

Et qui se remémorèrent le délice aveugle de ces années d’insouciance académique où les joutes d’excellence furent la seule flamme qui les poussait à espérer, où la réalité semblait dénuée de ses épines et décorée de lauriers,

Et qui plongèrent dans l’amertume, croulant de dettes, de rêves battus en brèche, de lendemains incertains,

Et qui se noyèrent dans la jouissance extrême de ces jeux d’inconnu, de chair et d’âme perverse s’étalant à l’infini de leur nervosité, anxieuse capitulation dans l’arène cruelle où les maîtres de leur vie misèrent sur la victoire de leur destin enchaîné,

Et qui enfermèrent leur esprit embrumé dans d’absurdes métaphores, mêlant libertinage et réconfort ; dans d’étranges substances, offrant plaisirs inconscients et apaisants, drogue libératrice de l’ère du séditieux réprimé,

Et qui dépouillèrent leur congénère pour le pain qui leur manque,

Et qui tabassèrent leur compagne pour apaiser leur âme décadente,

Et qui se détournèrent de leurs dieux impuissants soient-ils, face au chaos invisible à leurs yeux,

Et qui renièrent leurs cieux dans des parcours destructeurs de l’échappée salvatrice pour la terre corrosive du colon vicieux,

Et qui enjambèrent des engins,

Et qui parcoururent des chemins,

Et qui rejoignirent la rébellion,

Et qui moururent en pions.

Partagez

Commentaires