Une fille à l’encontre des codes

Article : Une fille à l’encontre des codes
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21 décembre 2023

Une fille à l’encontre des codes

Je suis rendue à quelques piges d’achever la vingtaine et absolument tout de moi se démarque. J’ai vécu chaque jour de ces dix dernières années dans la routine huilée des précédentes comme coincée au sein d’une boucle invivable.
Mes ancrages en terre camerounaise me jettent en pleine gueule le chômage flamboyant, une vie précaire et des mœurs trop aliénables. Je réside encore chez mes parents avec qui nos prises de têtes triomphent sur des moments aimables peu fréquents.

Tensions et accrocs

La divergence de nos propos et réflexions nous éloignent depuis belle lurette et j’aimerais bien partir de chez eux. Sauf que je n’ai pratiquement pas d’issues. Bloquée dans l’indigence de petits narcos officinaux incapables de m’assumer, et dans l’étau d’une fonction publique lente qui peine à finaliser votre rémunération qu’elle diffère par coutume. Sans compter le stress neuropathique hérité de cette décennie à vivre comme une forcenée.

Je ressens très mal mon séjour prolongé chez mes parents et je suffoque à chaque altercation où je suis blâmée injustement pour un motif lunaire. Mon silence et mon agacement à leurs bavardages pesants sont perçus comme du mépris. Je n’adhère pas à leurs fantasmes éculés de femmes au foyers et de maternité pressante.

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Je m’oppose à leurs poncifs de vie rétrogrades et pour cause donc je suis reléguée en indigne. Je suis à leurs yeux une fille inclassable et je m’en félicite. Je laisse couler leur rage mais sans jamais abdiquer. J’essaie à côté de brusquer le temps de mon émancipation sans vraiment toucher du doigt des résultats. Mon pays va mal.

Ambiance patriarcale éprouvante

Les études pharmaceutiques que j’ai menées ont été la volonté stricte de mon père, lui qui s’est loupé dans sa jeunesse en essayant des filières médicales. Son rêve était de devenir médecin ou pharmacien et il a voulu le réaliser à travers moi. Je n’ai pas eu mon mot à dire. J’ai passé malgré moi le concours difficile sous son exigence sans trop d’alternatives généreuses. C’était soit ça, soit une université publique dénuée de véritables débouchés. J’ai plié sans difficultés.

J’ai longtemps été soumise à l’oppression de mes parents et surtout de mon père autant que mes frères et sœurs. Sauf qu’eux le subissaient sans moufter et que moi je prenais très mal des abus d’autorité monstrueux de cette éducation spartiate sans fondements.
À mon entrée en faculté, j’ai vite ouvert les yeux sur l’atmosphère toxique qui était mienne. Et j’ai débuté par des colères explosives qui m’ont coûté ma place de privilégiée obtenue par mes notes excellentes à l’école.

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Au début de sa tyrannie, j’étais jeune et ne voyais rien des intentions égoïstes de mon père, puis me persuadait qu’il faisait cela pour mon bonheur. Une enfance illusoire jonchée de faux semblants d’amour et de violences morales sournoises.
Jusqu’à ce qu’il constate à l’usure que j’étais disposée à prendre mon envol loin de ses décisions misogynes implacables une fois diplômée. Ce que j’ai fait.

Je reçois depuis des mots d’insultes, d’ingratitude et de déceptions de sa part et celui de ma mère, son soutien matrixé et indéfectible. Avec des sous-entendus de regret terrible de m’avoir donné cette chance convoitée de faire ces études si prestigieuses à ses yeux et banales aux miens. Je vogue entre la politesse aux géniteurs et la colère liée au fait qu’ils usent de cette faille pour m’étouffer.

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Amitiés virtuelles et léger répit

La seule interaction qui me donne un semblant de vie sociale sont mes correspondants virtuels pharmaciens localisés de l’autre côté vers l’Atlantique. On converse comme des »amis » et le volet communicatif est tellement plus aisé et serein.
On évoque la pluralité des sentiments, l’acceptation des idéologies variées, on déjoue les notions figées et obsolètes. On paraphrase de grands philosophes comme Rousseau qui dit :  »on est curieux qu’à proportion qu’on est instruit ». Et je me rends compte de l’obscurantisme de ma région.

On s’entend dire aussi des bêtises, faire des blagues sur le tableau périodique des éléments et rire par appel vidéo groupée comme une bande d’hikikomoris hantés par le dehors féroce qui nous rendrait anxieux. Ils sont autant rigides que moi qui fait montre de sévérité envers mes compatriotes locaux.

Encore et toujours cette envie de faire éclater les codes d’ici et les faire correspondre à ceux que j’adule et qu’ils n’arrivent pas à atteindre. Je les crucifie et les fuis. Je me réfugie vers un ailleurs détesté des miens, une autre altérité qui me ravit depuis mon adolescence. Incomprise ici mais conquise à dix mille lieues. Je n’ai pas fait volontairement ce choix traître de m’exiler par la pensée, il s’est imposé à moi.

Par les auteur.e.s étranger.e.s que je dévore, leur perception profonde m’eblouit et cette modernité exhibant ouvertement des facettes électiques offrant de nouveaux paradigmes plus égalitaires me séduit : davantage de possibilités à l’existence digne des femmes, plus de dynamiques de respect et de liberté pour celles-ci.

Féminisme et conservatisme

C’est bientôt le nouvel an et l’atmosphère de cette fin d’année me répugne autant que l’attente de ma liberté se fait longue. »Tu lis beaucoup trop », » on ne t’a jamais vu avec aucun garçon », »fonde une famille au plus vite! » Ces injonctions qui sont ravivées durant les périodes de fin d’année où tu es obligée d’assister par politesse à des dîners familiaux incluant une plus large représentation de membres.

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On me compare à ma sœur taillée pour le mariage et affectant une ambition vive de se caser. Elle me vole la vedette à chaque repas de réveillon, ce sera encore le cas cette année. Ma vivacité d’esprit jadis saluée n’a plus aucune espèce importance.
Je suis vite devenue inintéressante et privée d’admiration. On s’attend à ce que je me »range » et annonce la venue d’un bébé. Comme l’a fait ma soeur il y’a deux ans sous l’acclamation des tantes et oncles ravis.

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Au lieu de répondre à leurs envies égoïstes de surpeupler l’Afrique, je les divertis de mes opinions qu’ils trouvent bien cocasses. Mes lectures déconcertantes dont je parle avec enthousiasme horrifient mon entourage.
Je cite Emily Dickinson, Karin Maria Boye, Marielle Franco, Toni Morrison, Virginia Wolf. J’insiste sur ces femmes qui se sont inscrites dans la postérité principalement par leurs œuvres et non leur descendance. Je martèle un principe d’enfantement restreint, fondé sur des préoccupations climatiques urgentes et le bien être de la planète. Sans être prise au sérieux.

Je suis tiraillée entre mes convictions lucides qui devraient faire l’unanimité au lieu de convier à l’étonnement, et mon environnement qui se raidit et s’offusque. De même que je conserve pour mes congénères quelque chose de hargneux, je porte douloureusement le poids d’exister différemment et d’être cette fille étrange qui vit à l’encontre des codes.

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