À nos vies décalées : Tom à l’épreuve de la parentalité

Article : À nos vies décalées : Tom à l’épreuve de la parentalité
Crédit: Photosbycollis/Pexels
15 septembre 2024

À nos vies décalées : Tom à l’épreuve de la parentalité

Un vieil ami que je vais nommer Tom par mesure stricte d’anonymat, m’avait plusieurs fois conté auparavant sa difficulté de vivre loin des stigmates de son enfance.

À l’époque, encore étudiante en Faculté de Médecine et Pharmacie à l’Université de Douala, je l’avais rencontré lors d’une visite de son école d’ingénierie toute proche (FGI) dans notre nouveau campus qu’on inaugurait en 2017. On s’était vite pris d’amitié et les bavardages avaient emprunté par la longue le virage de confessions intimes.

Il était tout comme moi au prise avec la notion de parentalité abusive. Il résistait chaque jour à la brutalité des souvenirs de sa jeunesse dans le village éloigné qu’il avait quitté sans remords. Après l’obtention de nos diplômes, on s’est perdus de vue et j’ai appris qu’il s’était installé à l’étranger pour exercer sa profession.

Il y’a quelques mois, son récit dont je me souvenais clairement m’a donné envie de le rédiger sous forme de narration autofictive. J’avais l’intuition que son expérience dont je n’étais pas étrangère d’une certaine manière, pouvait apporter matière à rendre justice a d’autres tranches de vie voyant à s’y identifier. Et je voulais également me rôder à l’exercice de biographe comme ces auteurs aguerris dans l’art de retranscrire justement des propos à l’oral.

J’ai pu recontacter Tom sur les réseaux sociaux et à la lecture du texte achevé, il m’a permis de partager sur mon blog, son témoignage du sentiment lancinant qu’il a porté durant une periode sombre de sa vie.


Quand les repères sur lesquels on a dû se construire n’ont été que les ruines d’une famille à l’amour factice, calculé et mauvais, on se résigne à ne plus croire en rien, à se méfier de tout. La vie nous apparaît comme un vaste champ de tous les écueils possibles. Une accumulation de viles et malveillantes personnes qui nous attendraient à tout coin de rue pour nous faire des misères, les remuer, les perpétuer, parce que c’est tout ce à quoi on a eu droit.

Les mêmes misères que t’ont fait subir les personnes auxquelles tu t’étais accroché dur comme fer comme à une bouée de sauvetage, de peur de sombrer dans la mer agitée de cette vie pleine d’hostilités.
Mais qui a dit que la famille était l’incontournable et ultime rempart pour un enfant ? Le seul moyen de se bâtir affectueusement ? De s’insuffler un moteur de développement afin de devenir des citoyens exemplaires, des personnes équilibrées, heureuses et saines d’esprit, dotées d’une éducation adéquate ?

Qu’elle est belle cette erreur. Celle de croire que les futures sinistres fractures d’êtres humains seront majoritairement ces enfants délaissés, sans foyers familiaux décents ni boussoles humaines assez responsables pour les orienter.

Le fléau qui corrompt et détruit toute perspective d’harmonie pour un gamin peut sillonner n’importe quel type de foyer, même ces familles à l’apparence heureuse.
Il s’infiltre partout. Il s’était insinué discrètement chez moi, prenant la forme du visage paternel et qui, lui, avait pourri le reste de l’édifice.

Un mariage hâtif et désavantageux

Mon père s’était marié par devoir ; un devoir qu’il s’était empressé d’exécuter sur le tard qui signifiait pour lui un début de trentaine battante, et le tout sous les instances des membres de son cortège rapproché.

Chanceux d’avoir trouvé une jeune fille de vingt ans maltraitée dans sa vie et fuyant les insurrections de sa marâtre, il avait été épargné d’un trop grand coût des procédures habituelles de mariage en milieu africain.

Son premier-né était rapidement venu au monde sans même avoir pu célébrer une fête coutumière ni religieuse mais juste après le versement de quelques maigres billets pour la dot.
Ma mère s’était offerte à lui dans le désespoir de se débiner d’un long parcours de boniche tabassée dans une concession où elle avait été recueillie à 10 ans.

Elle avait ainsi dans sa débâcle, perdu son privilège d’être honorée par un bon usage matrimonial et traditionnel qui scellait le lien entre deux époux.

Naïve et formatée aux valeurs pressantes du mariage, ma mère n’avait pas su qu’elle quittait un malheur désolant pour un autre plus sournois et grimé sous une forme avilissante qu’elle n’avait jamais saisi.

Et l’ayant vu toute ma vie comblée dans son rôle de femme, elle n’avait jamais semblé désarmée par les dérives et changements que son époux affecta jusqu’à son décès.

Après sa mort, ce fut à mon frère aîné, Charles, de prendre la relève de notre père et il s’y trouva assidu et féroce dans cette besogne de mâle effrayant. C’était par lui que mon adolescence fut un calvaire.

Des hommes sans gêne biberonnés au patriarcat

L’union rapide de mes parents n’avait servi qu’à mon père de s’établir mécaniquement comme ses frères et sœurs déjà installé.e.s dans cette voie qui n’attendait que lui, l’aînée de sa fratrie nombreuse.

Dès lors qu’il avait été au rang distingué de mari et père, il devint le plus rapidement incontrôlable et amer. Les phrases repoussantes de ce dernier dans ses lots de colères endiablées, marquaient le contraste fort entre un homme comblé par sa paternité et celui épouvantable dont on s’en accommoda avec effort.

Pour mon géniteur, une femme était autant utile qu’une casserole à faire bouillir de l’eau. Et chaque jour un peu plus, il piétinait la dignité de ma mère en lui léguant comme seul répit, de rares compliments sur ses prouesses culinaires et conjugales. Moments qui m’écœuraient à l’excès.

La famille qu’il créa ne comptait pour lui qu’au regard de la société exigeante qui vous juge de négliger cette attente primordiale. Il avait eu huit enfants avec ma mère dont moi, le dernier, et nous avions tous grandi dans un environnement émotionnellement intransigeant, fait de persécutions psychologiques et de coups de ceintures prompts et efficaces.

À sa mort, mon frère qui considéra sa nouvelle tâche d’éducation paternelle comme un sacerdoce, me rendit la vie pénible en essayant de me calquer à ses airs farouches. Autant dire que ma sensibilité et mes manières différentes lui procuraient un haut le cœur des plus flagrants. Et je fus le réceptacle d’une thérapie de reconnexion à ma nature virile dont je n’aurais pas dû m’écarter, d’après Charles.

Jeunesse tourmentée et bonheur volé

De mon enfance, je n’ai aucun souvenir heureux. J’emprunte volontairement la même formule introductrice qu’Edouard Louis dans son premier roman En finir avec Eddy Bellegueule, paru en 2014, pour définir les mêmes élans de violence qu’une parentalité affreuse a dardé sur mon bonheur. Sans pour autant me vexer de colère et amertume prolongées pour ce père, cette mère et ensuite ce frère horrible qui ont été les miens.

De tous les flashs interminables qui minent la photographie de ma jeunesse, je me souviens de menaces morales et surtout de coups. Ces coups dans les flancs quand je m’approchais des vêtements de mes sœurs pour les contempler. Ces coups à la figure quand j’imitais des chanteuses Disney à la télé. Ou encore des soirées où j’étais forcé à dormir affamé pour m’endurcir le mental.

Mon maigre gabarit et ma frêle consistance avait donné pour motif à mon frère de me farcir d’une routine sportive peu banale.

Il arrivait que Charles m’entraîne au terrain de football et demande à ses amis de tirer des balles violentes contre mon ventre tandis que je me tenais les bras tendus le long des épaules sans bouger. Je ne devais pas trembler d’un iota sinon la séance de tirs s’écourtait subitement et j’étais alors frappé par chacun d’eux à tour de rôle avec leurs mains fermées.
C’étaient soit les balles déferlantes, soit des coups de poing déchaînés. Dans l’un ou l’autre des cas, je finissais en pleurs et en lambeaux le soir dans la chambre que je partageais avec mon frère. Et chaque nuit, j’étouffais mes sanglots pour qu’il ne s’énerve pas et m’en colle davantage de tripotée car je l’empêchais de dormir.

Cette situation a perduré jusqu’à mon obtention du baccalauréat après lequel j’ai déménagé en fac à Douala. Quitter mon village a été la fuite salutaire pour m’éloigner de mon bourreau de frangin qui heureusement, n’était pas doué pour les études. Il était resté en campagne pour s’occuper des champs de notre père et prendre soin de maman.

Ma chère mère qui avait toujours laissé son fils aîné me martyriser, ne m’avait jamais démontré le moindre soupçon d’affection malgré mon parcours scolaire brillant et irréprochable.
Elle m’avait dit un jour, lors d’une dispute, que j’étais sa plus grande honte et qu’elle aurait préféré avoir une fille de plus à défaut du garçon efféminé, délicat et pleurnichard que j’étais.

Une description qui m’avait choqué et dont je ne me rendais pas coupable à ce moment. Je me sentais tellement naturelle dans ma prestance et sans aucun doute d’être mal perçu et encore moins moqué.

Maintenant que j’ai atteint 32 ans, je reconnais ce trait « girly » dans mes gestes mais sans en être autrement timoré ou honteux.

Parentalité toxique et résiliation

Ma famille a cessé depuis bien longtemps d’être une priorité. Ma foi en Dieu m’empêche de les juger et de les détester profondément et pourtant ils mériteraient toute la haine du monde.

Je ressasse chaque épisode de cette épopée dramatique qui gouverne ma tristesse et certaines épreuves décisives de ma vie.
L’infortune de l’enfance m’avait terni, j’étais souvent l’objet de pensées noires que je ne domptais pas. Elles s’ébrouaient dans mon esprit avec une force habile qui m’intimaient de plier. J’essaie de m’éloigner avec robustesse du temps et des périodes qui ont abîmé l’idée noble que j’avais de la famille.

Désormais adulte et trentenaire, travaillant en ingénierie industrielle, je me voue à ma profession sans étaler à quiconque une rengaine de reproches ni à me complaire dans des souvenirs douloureux.
Le temps et la bienveillance de nouvelles personnes autour de moi m’ont permis de construire de nouveaux projets et de me détacher de ces blessures secrètes.

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