La création littéraire

Article : La création littéraire
Crédit: Eric Messel/!Creative Commons
8 avril 2022

La création littéraire

Je ne me suis jamais considérée comme écrivain. Ce serait bien trop illégitime d’usurper cette identité qui sied à tous ces fantastiques diffuseurs de rêves et d’émotions. À ces braves prodiges qui font s’enchevêtrer en nous, une multitude de réactions en retranscrivant l’impensable. Et aussi qu’il me serait impossible de m’affronter. De me battre contre moi-même dans l’anxiété de la page déserte, le frémissement de l’incohérence et surtout subir ces instants où choisir de dire la vérité de nos sentiments semble inappropriée.
Mais je veux imaginer, imaginer un roman. Un roman qui parlera peut être de littérature, de guerre ou de plaisir aux féminins. Un roman qui parlera certainement de mes obscurités et d’amours clandestins… Celui-là qui me révèlera dans mes étroites perceptions et déclamera mes intimes et presque condamnables facettes.

Virevoltant entre la conviction de jouir d’une pleine possession de ma plume et la peur de briser la carapace qui freine mes libertés les plus inavouées, je demeure murée dans un vertigineux dilemme. Parce qu’écrire, oui, écrire si honnêtement, est une expérience qui nous divise. La scission de l’âme plongée dans l’adversité des mots douloureux quoique d’une justesse affolante, la scission de l’âme consumée dans les moindre détails de l’histoire où l’héroïne imbriquée en nous, arpente les milles et une collines de son subconscient. Quand on franchit ses propres interdits, on s’empêche ainsi d’être sobre. La modération qui nous echinait à prendre position dans le camp des conformistes fades et ennuyeux s’envole progressivement. La conduite littéraire exempte de sincérité et de révolte disparaît sous notre main écrivant désormais les pages les plus rebelles et dangereuses. Et là, rien ne nous arrête: ni d’être soi, ni de vexer, ni d’être hérétique, ni de continuer. On s’enivre de décisions hâtives et de ce bien-être refoulé. On se rend compte qu’écrire devient une véritable épreuve à l’aune de nos pensées emprisonnées. On se persuade que s’affranchir de nos contraintes sera l’absolue récompense de l’exercice à venir. Que cet exercice d’écrire pleinement, à l’encontre des autres, de la société, des mœurs et de la terreur, pourra sublimer et rendre authentique chaque parcelle du récit qui naîtra. Quand le scrupule meurt et que l’audace l’évince, on se met à consommer tous les mots avec l’envie de les épuiser, d’en tirer leur plus exquise et intense contenance.

Dès lors, la provocation dans chaque ligne devient necessaire et permanente, les expressions s’alignent fougueuses et déchaînées à l’envie. L’obscénité peut être envisagé en sachant comment l’attenuer sans ses debordements les plus fructueux. On saura comment l’utiliser et la rendre acceptable. La tentation du mépris s’ajoute et celle de la colère s’y allie. Mépris de la société, des conventions, des normes. Colère contre les religions, les guerres, les politiques, les doxas et toutes leurs fausses vertus. Tout devient possible car la mécanique de la création libre a pris le pas sur notre esprit vacillant.

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