Complaintes de l’assimilée (Frida la racisée)

Article : Complaintes de l’assimilée (Frida la racisée)
Crédit: Javier Sanchez/Creative commons
21 juillet 2021

Complaintes de l’assimilée (Frida la racisée)

Cette république tu l’aimes comme telle ou tu la quittes,
Je sens poindre dans mon cerveau mes certitudes qui s’effritent.
L’aspérité de leur discours exhale le parfum des inégalités qu’ils répandent,
L’hardiesse de leur humour revêche dément la richesse de la diversité qu’ils prétendent,
La violence de leur railleries dévoile le pseudo progressisme qu’ils nous vendent.

J’ai tout biffé d’un trait pour cette nation qui m’a vu naître,
Ma culture, mes pensées, mon passé à la saveur aigre.
J’ai tout renié pour en elle me laisser renaître,
Ma conscience, mon histoire, la filiation à mon identité de nègre.

Vouloir farouchement s’affranchir de l’étiquette d’étrangers,
S’engouffrer dans l’illusion pathétique de se sentir leurs alliés,
Et briser l’alliance au sang noir impur comme un péché.
Boire à la coupelle sordide de leur supériorité,
Puis devenir des serfs autant ivres de cruauté.
Au commencement est la race, la classe, l’effet de masse,
Qui nous éloigne du chemin poussiéreux des sentiers d’Afrique dont on perd les traces.

Edulcorer les témoignages sanglants des livres quand ont jadis souffert nos aieux,
Couver la domination du colon qui nous abrite gracieusement sous ses cieux.
De leur nation ils arrivent quand même à m’en défaire, m’en séparer,
Ils en veulent tellement à mes racines, ma noiceur, mes origines colorés.

Ils enjambent ma fidélité, passent au dessus de ma naissance ici en expatriée.
Je n’ai plus le cœur à me trahir, à me salir, à me haïr,
J’ai vu l’hypocrisie dans leur cœur qui peine à s’attendrir.
Cesser à présent d’essayer de les charmer, leur ressembler, j’ai l’âme trop ravagée.

Ne pas oublier la souffrance des ancêtres parqués dans des négriers,
Naufragée de ma mémoire, il me reste la même haine à exorciser.
Je viens de ces lieux où la dignité nous a été arrachée,
Batailles austères d’un peuple qui en bave pour sa liberté.
Ils auront sur leur tête la dette de toutes nos misères,
Et dans leur yeux bleus le reflet radieux de notre colère.
Mal assimilée sans honte j’en reviens à mon Afrique,
Adieu langue nouvelle, mœurs corrompue, attitudes inauthentiques.

Parce que tous les citoyens sont au même titre importants,
Dans cette nation on naît, on vit, on meurent pourtant différents.
Parce que tous les citoyens ont sous ce ciel les mêmes chances d’exister,
On a pourtant pas les mêmes emplois, les mêmes opportunités toutes scellées.
Dans cette terre on trime, on s’abîme, s’aphyxie pour des rêves erronés.

Pour eux on ne sera jamais que des étrangers, des racisés, quand l’heure du réveil va-t-il enfin sonner ?

La vérité c’est qu’ils crachent sur comment nous sommes,
La vérité c’est qu’ils portent des masques, nous traitent en sous-hommes.
Fureter dans ma mémoire, laisser enfin resplendir mon passé refoulé,
Je sais qui je suis désormais, celle qui dans leur bouche moqueuse nomment Frida la racisée.

Pour eux on ne sera jamais que des étrangers, des racisés, quand l’heure du réveil va-t-il enfin sonner ?

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